LE TORERO ET SON IMAGE
Quel
torero? Quelle image? Celle d'Antoñete dans une taverne, mèche de
neige, yeux cernés, cigarette et verre de whisky ou celle de
Cayetano Ordoñez, regard de séducteur, cheveux gominés, favoris
impeccablement taillés posant en habit de lumières pour une marque
de parfum ?
Les
vieux aficionados répètent à l'envie qu'un torero le reste toute
sa vie et qu'il l'est autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de
l'arène.
Imaginons
dans une rue trois maestros : El Gallo, arborant chevalière,
cigare, traje corto et chapeau cordobés vissé sur le crane ;
Luis Miguel Dominguin en pantalons moulants, les souliers cirés et
la chemise blanche largement ouverte sur une batterie de médailles.
Enfin un matador du XXI ème siècle, jeans, baskets, Ipod à la
main. Alors, UN torero, UNE image ? Mieux vaudrait-il parler de
milliers de belluaires et d'autant d'images.
De
plus il me semble qu'il convient de distinguer au moins trois types
d'images : celles que, de manière plus ou moins consciente, les
toreros veulent renvoyer d'eux, celles perçues par le public et
celles (photographies, peintures, sculptures...) qui peuvent être
produites à partir de ces images multiples.
La
question qui m'intéresse en tant que plasticien et aficionado est de
savoir quel type d'image peut être pertinent pour représenter
matadores et banderilleros.
Parmi
les nombreux travaux que j'ai consacré aux toreros je me
concentrerai sur un exemple, un exemple précisément lié à une
image qui me fascine depuis longtemps : une photographie du
visage de Juan Belmonte. Ce cliché d'Ibañez figure sur la
couverture d'un livre de Rafael Rios Mozo El intelectual y el
toreo publié en 1971 par
l'université de Séville. Cet ouvrage m'accompagne depuis des années
dans mes déplacements et déménagements divers (bien plus pour sa
couverture que pour son contenu). Le livre, de petit format, est
décoloré, corné, taché , la qualité de reproduction de la
photographie médiocre, mais malgré cela (ou grâce à cela?) il
demeure pour moi un support privilégié de création.
A plusieurs
années d'intervalle j'ai réalisé des séries de portraits de
Belmonte, variant formats, techniques, couleurs et compositions mais
en restant fidèle au même cliché, créant en quelque sorte des
images d'image. Pourquoi ? Pourquoi pour dire quelque chose du
torero choisir une représentation d'un homme âgé, en costume de
ville, aux traits aux antipodes des canons de beauté habituels?
Tout
d'abord j'aime travailler par séries. Mieux qu'un tableau isolé la
série me permet de tâtonner, d'explorer, de développer une idée.
Et puis lorsque je regarde un champ d'oliviers je suis tout aussi
fasciné et ému par l'ensemble que par le caractère unique de
chaque arbre.
Ensuite
j'aime les visages expressifs, façonnés par l'expérience et le
temps et j'aime les peindre en l'absence de leur modèle. Je préfère
recréer dans l'atelier sans trop me soucier d'exactitude et puis
peindre avec le modèle face à soi c'est lui imposer son regard ce
qui me gêne. De toute manière les toreros récurrents dans ma
peinture, ceux dont les traits et les vies m'interrogent, les Gallo,
Belmonte, Manolete, Viti, Antoñete, Rafael de Paula et autres Paco
Ojeda ont disparu ou se sont retirés. Et si je continue à
m'attacher à les représenter ce n'est nullement pour cultiver une
vague nostalgie mais bien plutôt parce que le temps engendre une
distance propice à la réflexion.
Degas
et Baudelaire disaient qu'à partir de quarante ans on a la gueule
qu'on mérite. Je souscris à ce jugement avec cependant un bémol
concernant la tauromachie : l'homme qui s'habille de lumières,
qui côtoie la peur et l'odeur de la mort murit plus rapidement que
le commun des mortels . Semblables vécus laissent des traces sur les
faces. Regardez comment tel torero au visage poupin à l'âge de
quinze ans se transforme et présente le plus souvent vers trente ans
une expression singulière, une intensité dans le regard semblable à
celle de Samuel Beckett ou de Pablo Picasso.
A
partir de trente ans oui c'est le bon moment pour un portrait de
torero, pour parvenir à dépasser la question de la ressemblance
physique, s'approcher de l'individu, tenter d'obtenir un « effet
de présence ». Vélasquez disait peindre les gens como son y
como están, c'est à dire dans leur essence et dans leur état.
C'est vers ça qu'il faut tendre : être capable de traverser
les apparences. Les peintres que j'aime, ceux que j'aime vraiment,
les grands anciens, les maîtres dits classiques et les
contemporains, les bons, y sont parvenus. De Goya à Bacon, de
Delacroix à Motherwell, de Piero Della Francesca à Tápies, de
Rembrandt à Barceló. Et je n'oublie pas les sublimes peintres
chinois et japonais. Chez la plupart je trouve une interrogation sur
le portrait. Et d'ailleurs qu'est-ce qu'un portrait ?
Aujourd'hui je dirais que c'est sans doute la rencontre d'un regard
et d'un visage grâce à laquelle le temps se fixe sur la toile.
Ainsi,
à l'image de la peinture qui est un art de vieux qu'il faut
commencer jeune, c'est le temps qui révèle l'image du torero.
Mathieu
Sodore
Mathieu Sodore / Belmonte / 2004/ Encre de chine sur papier / 15 X 15 cm. |
Mathieu Sodore / Pour Juan Belmonte / 2002 / Acrylique sur bois / 80 X 61 cm. |
Mathieu Sodore / Pour Juan Belmonte (détail) |
2 commentaires:
que este blog, mola, pero que mola mucho ! bien compadre !Te dejo eso :
http://www.youtube.com/watch?v=OYrMoOVDh10
Muchas gracias compadre Ludo! (pero no consigo pinchar en el video).
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