Le réalisateur et le peintre me passionnant depuis de nombreuses années cet article trouve logiquement sa place dans ce blog.
Goya/Autoportrait/1795-1797/MOMA/New-York |
FANDANGO FUNEBRE, GOYA EN BURDEOS DE CARLOS SAURA
INTRODUCTION
A
l’ouest de Madrid, sous le bloc de granit de la Ermita de San
Antonio de la Florida gît le corps acéphale de Goya. Au
centre du bloc figure l’inscription suivante : Hic
jacet Franciscus a Goya et Lucientes, Hispaniensis peritissimus
pictor, magna que sui nominis. Quelque
anatomiste, quelque lecteur fervent de romans gothiques ou quelque
admirateur fou l’a décapité post mortem
à Bordeaux, afin sans doute d’interroger son visage et fouiller
son cerveau, croyant ainsi découvrir l’étincelle du génie.
Rafael Alberti écrit dans son autobiographie 1 à quel point le souvenir de ce corps sans tête peut aujourd’hui
encore impressionner. En effet, cette sorte de pelele
sanglant digne d’une Peinture
noire nous plonge dans les affres d’un
Ailleurs terrifiant. Carlos Saura clôt le générique et ouvre Goya
en Burdeos (1999) avec le visage de Goya qui
naît de la chair putrescente du Bœuf écorché
peint par Rembrandt. Matière brute, chair
malaxée, maltraitée ; masque arrondi, orifice impur, origine
obscure ; frontière incertaine entre le chaos et l’embryon
; gouffre de la bouche qui vomit ou accouche dans un tournoiement de
tons bruns. Voilà donc le visage du peintre semblable à ses
créatures devant lesquelles nous détournons volontiers les yeux
tout en les regardant en biais, atterrés par ce que l’artiste a vu
et que nous ne savions ou nous ne voulions voir : un bœuf
crucifié dans lequel se devine toute l’affliction de l’homme.
Rembrandt/Le boeuf écorché/1655/Musée du Louvre/Paris |
En mai 1828, quelques semaines après la
mort du peintre un adolescent inconnu apparaissait une lettre à la
main sur une place de Nuremberg et défrayait la chronique allemande.
Est-ce à Goya que Werner Herzog a pensé pour la fin de
L’énigme de Kaspar Hauser (1974) lorsque
après la mort du jeune « orphelin de l’Europe » on
incise son cerveau ? Car le Romantisme que Herzog se vouait sans
fléchir au génie, au fou, au saint et à l’enfant sauvage.
Le film de Saura est suspendu entre deux
phrases. L’une dédicace le film à son frère, le peintre Antonio
Saura ; l’autre mentionne la dernière phrase de Saturne,
l’essai consacré par André Malraux à
Goya. Entre ces deux phrases Saura demeure sur le seuil du mystère,
comme ces personnages de Caspar David Friedrich qui nous tournent le
dos et contemplent un espace sans contours définis où le ciel
délave la terre issue de l’archée.
Oui, c’est bien là
Francisco de Goya y Lucientes mais le scénariste et metteur en scène
emprunte une voie sans pareille pour nous conduire au sein d’une
matrice féconde. Dans Goya en Burdeos
s’affirme le goût de son auteur pour un cinéma sans attaches :
CasparDavid Friedrich/Falaises de craie sur l'île de Rugen/ 1818/Musée Oscar Reinhart/Winterthou |
“Yo abogo por la
complejidad, por un cine que no está de moda, un cine sin las
facilidades de la aventura superficial ; un cine que duda, que
conmocione en las profundidades ; un cine de estética
deslumbrante pero también de deslumbrante sencillez, o de
deslumbrante complejidad ; un cine de autor porque detrás de
cada buena imagen hay alguien con talento que la crea… » 2
LE
PROPOS DE L’AUTEUR
Etre
moderne c’est avant tout être libre, aime à nous le rappeler
Malraux dans un autre essai, justement à propos de Goya. 3 Néanmoins, qui s’attend à une biographie du peintre sera à juste
titre déçu car des pans entiers de sa vie sont absents : son
enfance et son adolescence jamais ne sont dramatisées ou commentées.
Les années d’apprentissage aux côtés de José Luzán, le voyage
en Italie, l’arrivée à la cour, les appuis de Rafael Mengs et de
Francisco Bayeu ne sont pas plus traités. Saura a surtout retenu
trois périodes. Une première période de durée assez floue que
nous pouvons situer entre 1777 et 1782, puis l’épisode consacré à
Cayetana, aux Caprices et
aux fresques de San Antonio de la Florida (1797-1799) 4,
et enfin les deux dernières années à Bordeaux (1827-1828). Il faut
ajouter quelques scènes liées à la Quinta
del sordo 5 et aux Peintures noires.
Sont également absents du film Martín Zapater, l’ami
de Saragosse avec qui il échangea une longue correspondance ;
le collectionneur d’œuvres d’art Sebastián Martínez,
l’écrivain et ministre Jovellanos, et le duc d’Osuna premier
protecteur et commanditaire de Goya. L’écrivain Leandro Moratín
qu’une amitié durable unit à Goya – surtout dans les années
quatre-vingt-dix puis pendant l’exil à Bordeaux – est une simple
figure. Josefa Bayeu fut la mère des enfants de Goya qui tous
moururent en bas âge à l’exception de Francisco Javier (né en
1784) qui fut le père de l’unique petit-fils du peintre, Mariano
Goya Goicoechea. A peine Josefa est-elle une silhouette qui trouble
l’intimité naissante de Goya et de la duchesse d’Albe quand le
peintre fait le portrait de Cayetana.
Goya/Francisco Bayeu/1795 Musée du Prado/Madrid |
Goya/Jovellanos/1798 Musée du Prado/Madrid |
Saura concentre son attention
autour de Leocadia Zorrilla, épouse de Isidoro Weiss dont elle était
séparée, Rosarito et surtout María del Pilar Teresa Cayetana de
Silva Álvarez de Toledo, treizième duchesse d’Albe, plus
simplement nommée dans le film, Cayetana. Mais les historiens ne
s’accordent pas à attribuer à Leocadia un rôle prééminent et
certains doutent que Rosarito ait été la fille du peintre. Par
ailleurs, il en est qui soutiennent que la passion entre Goya et
Cayetana est pure conjecture. Saura lui-même est sceptique :
« … yo
sinceramente creo que Goya estaba profundamente fascinado por esta
mujer, digan lo que digan los estudiosos, que se haya acostado con
ella o no me da igual. Yo creo que habrá hecho lo posible, pero allá
él. También me parece a mí que Goya era un hombre de pocas
mujeres, me da la impresión de que era muy estricto en eso, por lo
que fuera. » 6
Goya/La Duquesa de Alba/Palais de Liria/Madrid |
Ce bref extrait
suffit à nous convaincre que Goya en Burdeos n’est pas une
biographie de Goya. Sans nul doute est-ce une interprétation de la
vie de Goya, de quelques instants de sa vie, una ensoñación
devrions-nous dire, une variation au sens où un compositeur met tout
son talent à s’essayer à la mélodie d’un autre musicien, car
le metteur en scène prend ici des privautés avec ce que l’on
voudrait être la vérité historique, inapte à connaître la cause
de la surdité de Goya survenue en 1792 – syphilis d’après
certains, saturnisme dirent d’autres ; apoplexie selon Moratín
– et l’étendue de son engagement politique, à dater avec
précision l’exécution d’œuvres aussi célèbres que La maja
desnuda – entre 1797 et 1803 selon les auteurs – ou à
prouver que le « Sólo Goya » que désigne
de son index droit Cayetana n’est pas apocryphe (Duquesa de Alba
vestida de negro, peint en 1797 et qui se trouve au Hispanic
Society à New York).
Goya/La Duquesa de Alba vestida de negro/1797/ The Hispanic Society of America/New York |
Goya/La Duquesa de Alba vestida de negro (détail) |
Goya/La Duquesa de Alba vestida de negro (détail) |
Qui réclame de la part du réalisateur
l’accès à la source du génie sera marri. Bien sûr, nous
aimerions savoir quelle sève irrigue le flux créateur du génie si
différent du talent, si déséquilibré, si proche parfois du
ratage, mais le génie s’érige comme un roc dont l’ascension est
impossible. Saura le sait bien et fort heureusement nous épargne
toute explication racornie. Sur ce point il prolonge une tradition
espagnole hostile à l’auscultation de l’artiste, à la
théorisation de l’art, à la définition de concepts. Goya
en Burdeos est peut-être, plus qu’une
fiction pleine, un essai autobiographique grâce auquel Saura nous
livre une œuvre intime cependant jamais exhibitionniste. Parler de
soi ne consiste pas à raconter sa vie. Même lorsqu’un cinéaste a
soixante-dix ans.
Qu’a donc voulu faire Saura ?
“At first when I
proposed the film, the idea was that it would start during his old
age and end at his birth. It was a much logical process. All the
stages of his life were more clearly marked by time, but always going
backwards. But I realized that it was too rigid, so I thought it
would be better to look for a more visual rhythm, a visual narrative
rather than being obligated to follow a rigid temporal order. That
gave me more freedom. (…)What I thought was that since I was
dealing with an artist, I would allow myself greater freedom to make
a pictorial film, with colors, where everybody has a more theatrical
feel, more of a feel of a canvas, even a bit static at time.” 7
C’est
dire si Saura a souhaité renoncer au corset d’une narration
classique au profit d’une suite colorée de moins de quarante
séquences, tandis que le nombre moyen de séquences pour un film
d’égale durée est équivalent au double. Au fil de cette suite
colorée confluent plusieurs formes d’expression : la danse
(chez les ducs de Osuna, puis Braulio Poc qui danse la jota
dans la
taverne), le théâtre (la Fura del Baus qui représente Les
désastres de la guerre
ou encore la recréation du miracle de Saint Antoine de Padoue qui
sort de son cercueil), la tauromachie (citée seulement) et la
musique (surtout No hay que decirle
el primor,
un air populaire du XVI siècle chanté par une voix féminine
associée à Cayetana et le fandango
du
Quintette en ré majeur opus 37
et le largo du
Quintette opus 2 de
Luigi Boccherini). Le choix de Luigi Boccherini sans doute est dû
au fait qu’il développa l’essentiel de sa production – souvent
pour cordes – en Espagne où l’infant Don Luis, frère cadet de
Charles III, l’engagea en tant que compositeur et violoncelliste en
1769. Puis après la mort de son mécène errant il s’installa à
Madrid sous la protection du marquis de Benavent qui lui passa
commande d’œuvres de musique de chambre, tout particulièrement
pour la guitare dont le marquis était un fin interprète.
Vraisemblablement aussi les compositions de Boccherini furent
choisies pour le film parce que, comme Domenico Scarlatti quatre
décennies plus tôt, il aima le folklore espagnol et sut l’intégrer
à ses compositions classiques.
Roque
Baños qui a composé la musique originale du film et a procédé aux
arrangements des partitions classiques employées a exprimé sa
satisfaction concernant cette première collaboration avec Saura :
“Cada
vez que hablo de esta película me emociono, porque fue especial para
mí. Las bandas sonoras que he hecho con Carlos son muy originales e
inclasificables, nadie me ha dicho en este caso que recuerdan a otra
cosa. (...) Carlos me hablaba sobre Goya, cuando estaba aislado del
mundo y hacía sus pinturas negras. A partir de esas ideas se me
ocurrió un tema muy obsesivo, que se repite en varias alturas. Creo
que funcionaba muy bien. (...)El bloque de “Los
desastres de la guerra” ...es una auténtica pieza sinfónica
en miniatura.”8
Goya/Los Desastres de la guerra "Que hay que hacer mas?" (nº33)/1810-1814 |
LE VOYANT
“El
arte, es como el rostro, una epifanía. Así, los grandes poetas ven,
con espantosa nitidez, lo que las gentes presienten de manera más o
menos imprecisa; esa recóndita verdad de nuestro ser que únicamente
advertimos cuando nos encontramos solos. (...) A lo largo de mi vida,
como escritor he intentado ser fiel a esa inquietante y enigmática
verdad que se manifiesta en el momento en que acontece la creación.
Todo creador debe cuidar de ella, y ofrecerla a los hombres como su
más alta y noble vocación.”9
Rares
sont les artistes pour lesquels l’art est, selon le mot d’Ernesto
Sábato, une épiphanie. Parmi les artistes plus rares sont ceux dont
le travail mérite d’être considéré une épiphanie. Face
à leur oeuvre nous sommes frappés d’effroi par une sorte
d’évidence. Ils sont des voyants aux prises avec des mondes
inconnus dont parfois ils échappent ébranlés. Goya
fut l’un de ces voyants qui nous dessillent les yeux. A Rosarito en
qui Saura veut voir l’héritière de Goya, la dépositaire de son
savoir, et peut-être de sa sagesse, le vieux peintre dit à propos
de l’imagination: « Sólo
hay un peligro : no ser devorado por la oscuridad y la locura. »
Et c’est ainsi
que le montre Saura. Le vieux peintre est un homme qui séjourne
encore et encore dans le monde qu’il a créé jusqu’à être
happé par la spire qu’il esquisse du doigt sur la vitre embuée,
dès la première séquence. Que Saura en aucun cas ne sépare l’en
deçà et l’au-delà du monde de Goya indique que pour le cinéaste
il n’y a pas de frontière que ne puisse franchir l’esprit d’un
artiste visionnaire. La condition première est l’exigence du
créateur à l’égard de lui-même puisqu’il ne peut trouver
qu’en lui les ressources de son art. Lorsque Goya regarde à la
loupe des lithographies Rosarito s’approche pour lui montrer un
dessin qu’elle vient de terminer. Il lui tient ces propos :
« Está
bien copiar pero… (…)Poco a poco tienes que encontrar tu propio
camino… (..) Mejor o peor, pero lo tuyo”
Devons-nous
considérer que les paroles attribuées à Goya résument le credo
de Saura ? C’est bien possible. Plus tard Goya dit face à ses
Caprices :
« La
fantasía unida a la razón es la madre de las artes “ Ici
encore il s’agit d’une tardive déclaration programmatique.
L’extravagance est pour le peintre la voie du dérèglement
initiatique.
A la différence
de l’artiste de talent, le voyant, le génie si l’on veut, n’est
pas l’héritier d’une tradition ; il semble devoir cheminer
dans un long couloir – un labyrinthe ? – en quête de son
expression la plus personnelle. Deux éléments confirment ce choix
de Saura. Tout d’abord il fait dire à Goya lorsqu’il découvre
Las Meninas, et ce sont bien des paroles du peintre :
« Yo tuve tres maestros : Velázquez, Rembrandt y la
naturaleza. », c’est-à-dire que Goya ne cite pas ses
professeurs (José Luzán ou Rafael Mengs) ou des proches (Francisco
Bayeu) mais plutôt des artistes prestigieux du passé dont il ne
connaît pas la vie.
Le silence de Vélasquez et de Rembrandt est une nouvelle manière de l’isoler pour le livrer à son génie. En ce qui concerne Rembrandt signalons, d’une part, que le marquis de la Ensenada avait acquis Artemisa pour sa collection personnelle puis Charles III l’acheta pour le musée du Prado et que très rares étaient les toiles de Rembrandt que l’on pouvait admirer en Espagne à l’époque.
Il est vrai que Ceán Bermúdez prêta à Goya des estampes du peintre hollandais. D’autre part, le couloir de la mémoire qu’arpente Goya jeune lui impose le souvenir des aristocrates qu’il devait peindre. D’eux il retient : « … la ignorancia, la corrupción y la calumnia ». Le couloir sans fin taraude l’esprit du peintre de cour éloigné de sa vocation, plus soucieux alors d’ajouter une particule à son patronyme – les estatutos de l’Académie semble-t-il le permettaient –, de porter des bottes anglaises, de parler français, de chasser en compagnie de l’infant Luis de Borbón, et de conduire un birlocho à la mode. Comme il l’écrit à son ami Martín Zapater le 25 avril 1786 :
Velásquez/Las Meninas/1656/Musée du Prado/Madrid |
Le silence de Vélasquez et de Rembrandt est une nouvelle manière de l’isoler pour le livrer à son génie. En ce qui concerne Rembrandt signalons, d’une part, que le marquis de la Ensenada avait acquis Artemisa pour sa collection personnelle puis Charles III l’acheta pour le musée du Prado et que très rares étaient les toiles de Rembrandt que l’on pouvait admirer en Espagne à l’époque.
Rembrandt/Artemisia/1634/Musée du Prado/Madrid |
Il est vrai que Ceán Bermúdez prêta à Goya des estampes du peintre hollandais. D’autre part, le couloir de la mémoire qu’arpente Goya jeune lui impose le souvenir des aristocrates qu’il devait peindre. D’eux il retient : « … la ignorancia, la corrupción y la calumnia ». Le couloir sans fin taraude l’esprit du peintre de cour éloigné de sa vocation, plus soucieux alors d’ajouter une particule à son patronyme – les estatutos de l’Académie semble-t-il le permettaient –, de porter des bottes anglaises, de parler français, de chasser en compagnie de l’infant Luis de Borbón, et de conduire un birlocho à la mode. Comme il l’écrit à son ami Martín Zapater le 25 avril 1786 :
« Para
quattro días que hemos de vivir en el mundo es menester vivir a
gusto. »
Si Goya est seul
face au silence de ses maîtres c’est aussi que le génie se
manifeste en Espagne selon Saura, comme l’entend le peintre Ramón
Gaya :
“El
genio, en España, no parece tener continuidad. En todo lo español
decisivo encontraremos esa contradicción dura, inhóspita, de lo
irrepetible; es más bien como un defecto del genio español, casi
una impotencia, una imposibilidad de sucederse. (...)El español es,
principalmente, creencia, no tiene más remedio que ser creencia,
porque no dispone de nada más; está como desamparado de todo, como
huérfano de todo, y siente, sin duda, que su única posibilidad es
el genio (...) De ahí que la genialidad no lo entienda el español
como una categoría máxima, sino como un recurso desesperado.” 10
Il est singulier que Goya jamais ne parle d’art, pas même en
présence de ses amis artistes et hommes politiques, et ne s’ouvre
sur ce point qu’en compagnie de Rosarito.
Si
Goya est sous la caméra de Saura un voyant sous l’emprise de son
imagination il n’est pas pour autant un illuminé ou un incompris
ou un impécunieux condamné à l’amertume. Comment pouvait l’être
un homme qui fut nommé
« peintre
du roi » en 1786, « peintre de la chambre » en
1789, « premier peintre de la chambre du roi » en 1799 ?
C’est avant tout sa solitude qui est mise en relief par le biais
des déambulations du vieux Goya et de l’attitude d’écoute et de
retrait qu’adopte Goya jeune. Il est singulier que l’accent soit
mis sur l’écoute puis sur la surdité réelle et symbolique du
peintre. L’homme de cour cesse de peindre le monde à l’entour
pour montrer les prisons que son esprit devine.
« Para
ocupar la imaginación mortificada en la consideración de mis males,
y para resarcir en parte los grandes dispendios que me ha ocasionado,
me dediqué a pintar un juego de cuadros de gabinete, en que he
elogrado hacer observaciones a que regularmente no dan lugar las
obras encargadas, y en que el capricho y la invención no tienen
ensanches.” Écrit-il
a Bernardo de Iriarte le 04 janvier 1794.
Est-ce à dire qu’il ne faut écouter personne pour parfaire son
travail ?
Alors
qu’il ne peut plus entendre les autres Goya écoute des sons
inaudibles pour autrui. A Rosarito qui lui montre son dessin il dit :
« No
oyes … el grito desgarrado de dolor, el estampido de los cañones,
el disparo de fusiles, el aullido de una fiera. Escucha... »
La
surdité du peintre aggrave certes sa solitude mais elle est la
conséquence d’une maladie, non une condition d’accès à une
compréhension d’ordre supérieur, ou un signe d’élection. Bien
que Saura ne s’identifie pas à Goya il partage avec lui – avec
l’image qu’il en donne – le besoin de solitude.
“El
aislamiento es para mí una necesidad vital, tan importante como el
alimento o el amor. Debo confesar que mi soledad – encubierta a
veces por la somnolencia – es relativa, y que nunca alcanza las
cotas de la mística o las del artista solitario” 11
LA SPIRALE
Grâce
à la solitude l’artiste aiguise sa réceptivité et capte ce que
les autres hommes à peine entrevoient. Dès la première séquence
le vieux Goya dessine une spirale plane sur une vitre embuée et
dit : « La espiral es
como la vida ».
Si Goya ne commentait pas le geste ce serait un signe, un beau signe,
mais l’ajout de la phrase en fait hélas le symbole évident d’un
labyrinthe. Un artiste jamais ne doit partir d’un symbole, pour
aussi
forte que soit la tentation, c’est appauvrissant ; au mieux
peut-il espérer trouver un symbole sans en être pleinement
conscient.
Dans
Goya en Burdeos
la spirale dessinée par Goya apparaît trois fois : dans la
scène ci-dessus mentionnée, dans le plan par lequel commence la
scène de la taverne située au milieu du film et enfin quand Goya
soliloque dans son lit peu avant de mourir, moment auquel succède le
plan en contre plongée d’un escalier qui a la forme d’une
spirale. Dans les trois cas Goya est seul. Bien entendu, à Bordeaux
il est entouré de quelques amis libéraux exilés mais il est malgré
tout seul, prisonnier de l’imagination et du souvenir, comme le
confirment ses pas de danse à la fin de la scène alors que le
leitmotiv musical
associé à Cayetana (No hay que
decirle el primor)
se fait entendre et couvre les sons de la taverne. Au cours de la
troisième apparition de la spirale, le plan du doigt de Goya qui
dessine dans l’air une spirale ne peut qu’évoquer le fameux
monolithe noir de 2001 :
l’Odyssée de l’espace
(Stanley Kubrick, 1968). Rappelons que le monolithe surgit à la fin
de « A l’aube de l’Humanité » puis en « 2001 »
sur une station lunaire et enfin dans la dernière partie intitulée
« Jupiter et au-delà de l’infini ».
Le
monolithe réapparaît alors lorsque Dave Bowman se voit vieillir –
encore un effet de dédoublement – sous nos yeux dans l’immense
chambre blanche dont le décor est inspiré par le mobilier du XVIII
siècle. Dans chacun des deux films, face à deux hommes couchés
dans leur lit de mort se matérialise ou tout au moins est visualisée
une figure qui donne sens à leur quête. Comme l’astronaute, Goya
a effectué un périple et son voyage dans l’esprit humain n’est
pas moins épuisant ni moins instructif. Ce voyage impose la
solitude. Le film de Kubrick est une œuvre sans personnages et celui
de Saura vide l’espace de personnages de chair et d’os pour ne
laisser que des figures. Etrange coïncidence – mais en est-ce
une ? –, les dernières images de 2001
sont consacrées à ce que plusieurs générations de cinéphiles
nomment le « fœtus astral », si bien que l’exploration
galactique de Dave Bowman devient un retour vers l’origine.
SUR
LES RIVES DU ROMANTISME
Goya
fut le contemporain des terreurs blafardes du monde romantique menacé
par l’ombre de Satan, sur le point de succomber aux assauts du
chaos originel, perdu entre l’appel du sublime et les cris de
l’horreur. Ce Romantisme noir fort présent en Allemagne et en
Angleterre, entre la Révolution française et la geste de
l’indépendance de l’Amérique latine, s’enracina peu en
Espagne. Pourtant Goya peignit l’informe, l’informulé et
l’invisible avec la fougue rageuse des révoltés pour lesquels la
poésie n’était pas un métier mais un combat.
Différence majeure : pour le romantique le paysage
exprimait un état émotionnel à la limite de la fusion entre
l’homme et les éléments, alors que chez Goya prévaut un
enfermement toujours oppressant. Nous pouvons d’ailleurs nous
demander pourquoi la tradition picturale espagnole – et même la
tradition cinématographique – accueille aussi peu le paysage.
Saura pour sa part n’hésite pas à opposer les décors ensoleillés
de la maturité de Goya (Pradera de San Isidro, jardins d’Aranjuez,
épisode de Sanlúcar de Barrameda) et la longue nuit de ses derniers
moments.
Goya/La Pradera de San Isidro/1788/Musée du Prado/Madrid |
Une autre différence l’éloigne des
romantiques : nombre d’entre eux s’exilaient du monde des hommes
pour se tourner vers Dieu, et si leur appel restait sans réponse ils
trouvaient refuge parmi les morts auxquels ils rendaient un culte ;
la peinture de Goya fut toujours athée. Il a souvent été commenté
que l’essence des fresques de San Antonio de la Florida, par
exemple, n’est nullement religieuse mais populaire. Goya s’est
détaché de la tradition au point de peindre des anges féminins
qu’Emilia Pardo Bazán désignait sous le nom de ángelas.
Goya/Fresques de la Ermita de San Antonio (détail)/1798/Madrid |
Puis, peu à peu, il s’avança dans le
pays des fantômes et des monstres. La lutte de Goya n’était pas
prométhéenne, aucune lumière ne l’en récompensait. Le Caprice
n° 43 « El sueño de la razón produce
monstruos » , qui devait être le
premier de la série, en est l’exemple le plus célèbre.
Au dessus
de El autor soñando
assis à sa table, on ne sait si endormi ou abattu, se déploient
d’étranges oiseaux, mi hiboux, mi chauves-souris, peut-être
produits par son imagination enflammée.
Goya/Los Caprichos "El sueño de la razón produce monstruos" (nº43)/1797-1799 |
Saura maintient à
l’égard de l’enfermement de Goya une attitude sereine. Il écarte
chez Paco Rabal qui a pour délicate tâche d’incarner Goya aux
abords de la mort, la crise, le cri ou l’imprécation et leur
préfère une bonhomie bourrue beaucoup plus crédible, car après
tout il eût été possible d’imaginer Goya tordu par l’horreur.
Sa « normalité », son épaisseur, son âpreté, si bien
rendues par un Paco Rabal à la voix rocailleuse interdisent toute
exaltation idéalisée de l’artiste. Selon les dires de l’acteur,
Buñuel fut son modèle. Il apporte un contrepoint bienvenu à
l’image d’un voyant hanté. :
« Mi
inspiración no fue otra que Buñuel. Saura me lo insinuó, me
pareció una excelente idea puesto que los dos eran sordos,
aragoneses y geniales (…)Buñuel ha sido como una sombra amable que
me ha conducido suavemente a través de Goya. Y luego he leído mucho
sobre él. (...) Tuve siempre a Buñuel como referente: en la forma
de caminar, de escuchar. Sin exagerarlo, que en el cine es muy
importante la economía del gesto. » 12
Comme le survivant d’une épidémie entre
en quarantaine dans un lazaret, Goya oscilla entre le monde diurne et
les forces nocturnes et ce passage a lieu dans le film de Saura sans
aucune douleur apparente. La scène qui a lieu dans la Quinta
del sordo au cours de laquelle Rosarito (six
ans alors) vient trouver son père qui peint le montre bien. Rosarito
a rêvé qu’un chien la poursuivait. « No
hay aquí perro rabioso » lui dit le
vieil homme qui commente pour elle El perro.
Faut-il y voir un hommage de Saura à son frère Antonio qui n’a
cessé de citer cette œuvre dans ses écrits et dans ses toiles ? 13 Cette insertion du Perro
répond à une trop claire articulation car le cauchemar de la fille
annonce l’explication du père. De ce fait cela devient didactique.
Goya/Perro semi hundido/1819-1823 Musée du Prado/Madrid |
Plus réussi est l’apaisement de Goya
face à son propre travail. Nous en trouvons un exemple dans la
séquence où Leocadia qui le voit peindre Aquelarre
lui reproche de peintre des motifs
inquiétants. Il a une simple réaction d’humeur mais pas une
attitude d’ « artiste » : « En
las paredes de mi casa pinto lo que me venga en gana. »
Au cours de cette même scène Leocadia lui dit que la nuit est faite pour dormir à quoi il rétorque : « Las noches se han hecho para dormir… y para pintar. » Ce besoin de vivre la nuit s’accorde bien avec la sensibilité romantique. Dans une séquence postérieure – mais située presque trente ans plus tôt – la conversation propose une nouvelle variation sur la nuit. Goya peint le portrait en pied de Cayetana et il dit : « Los colores son más cálidos y hermosos de noche…(…)La noche está hecha para dormir, para amar – ajoute Cayetana – y para pintar.”
Goya/El Aquelarre/1798/Musée Lázaro Galdiano/Madrid |
Au cours de cette même scène Leocadia lui dit que la nuit est faite pour dormir à quoi il rétorque : « Las noches se han hecho para dormir… y para pintar. » Ce besoin de vivre la nuit s’accorde bien avec la sensibilité romantique. Dans une séquence postérieure – mais située presque trente ans plus tôt – la conversation propose une nouvelle variation sur la nuit. Goya peint le portrait en pied de Cayetana et il dit : « Los colores son más cálidos y hermosos de noche…(…)La noche está hecha para dormir, para amar – ajoute Cayetana – y para pintar.”
Tout aussi romantique est la mélancolie de
Goya frappé dès le berceau par l’influence de Saturne. Ici, Saura
n’échappe pas à l’idée si fréquente depuis la Renaissance que
l’artiste est, en vertu de la théorie des humeurs, tenu de vivre à
côté des hommes mais non parmi eux, que sa condition d’artiste
l’expose aux attaques de la bile noire, que la mélancolie est une
maladie et non une aimable rêverie puisque qu’elle consiste à
vivre et à se regarder vivre. Il y a donc chez le mélancolique un
dédoublement : je suis ici mais je me trouve ailleurs et
autrefois. La mélancolie contient en puissance le thème du double.
Dans Goya en Burdeos le
réalisateur ne manque pas de montrer l’alternance entre Goya jeune
et Goya vieux quand le peintre défile parmi la série des Caprices,
même leurs voix se mêlent.
Goya/Los Caprichos "Hasta la muerte" nº55/1797-1799 |
Goya/Saturno devorando a un hijo/1819-1823/ Musée du Prado/Madrid |
D’autre part, le baiser de Saturne rend
l’artiste obsédé soit par le passage du temps, soit par la
brièveté et la fragilité de la vie humaine. Les Vanités
en vogue au XVIII siècle ont certainement
fait partie de la formation de Goya. Regardons le vieux peintre dans
le film : il erre hagard entre des silhouettes et ne trouve
point de consolation à la mort de Cayetana disparue pourtant en
1802. Avoir opté pour l’hypothèse de Cayetana morte
empoisonnée est un nouvel argument en faveur du romantisme de
Saura qui filme les râles de la duchesse d’une manière qui avive
le souvenir du corps meurtri de Lady Lyndon dans Barry
Lyndon (Stanley Kubrick, 1975). Et quoi de
plus romantique que le corps de Rosarito qui, telle Ophélie, flotte
comme un blanc lys dans un étang ?
L’ombre de la femme aimée est l’un des
motifs romantiques dont le cinéma s’est fait l’écho, notamment
dans cette série de films américains classiques que Saura a pu voir
durant son adolescence dans lesquels un homme est envoûté par le
sortilège d’un portrait féminin, souvent d’une morte ou
supposée telle. (Laura,
Otto Preminger, 1944 ; La femme au
portrait, Fritz Lang, 1946 ;
Jennie,William
Dieterle, 1949 ; Pandora,
Albert Lewin, 1951 ; Elle et lui,
Léo Mac Carey, 1957 ; Vertigo,
Alfred Hitchcock, 1958). Et c’est précisément l’ombre de
Cayetana qui couvre le lit dans lequel Goya agonise, sorte de
Volaverunt (Caprice n°
61 où l’on voit une jeune femme, d’après la tradition la
duchesse d’Albe, qui vole en ouvrant les bras couverts par une
mantille en guise d’ailes mais qui apparaît dans la scène où
Goya arpente le couloir couverts de Caprices)
qui l’emporte vers la mort, de la même manière que son ombre a
couvert Goya terrassé par la maladie qui devait le frapper de
surdité.
Dans le film l’amour apparaît peu, bien
que Goya dise à Leocadia « Tú y la
niña sois lo primero » et que tout à
son souvenir il dise dans la scène du « couloir » de la
mémoire face au Caprice intitulé
Volaverunt :
« Cayetana, mi amor, mi vida »
La fascination pour la femme – pour le corps féminin – y occupe
une place plus grande.
Quand Godoy ouvre son cabinet secret à ses invités il leur montre des tableaux jugés « obscènes » par l’Inquisition, parmi lesquels deux des très rares nus de la peinture espagnole classique : la Vénus au miroir de Vélasquez et La maja desnuda de Goya.
Goya/Los Caprichos "Volaverunt" (nº61)/1797-1799 |
Quand Godoy ouvre son cabinet secret à ses invités il leur montre des tableaux jugés « obscènes » par l’Inquisition, parmi lesquels deux des très rares nus de la peinture espagnole classique : la Vénus au miroir de Vélasquez et La maja desnuda de Goya.
Velásquez/Venus del espejo/1647-1651/National Gallery/Londres |
Goya/La maja desnuda/1800-1803/Musée du Prado/Madrid |
AU PAYS DES FANTÔMES
De
nombreux choix de mise en scène révèlent que Goya
en Burdeos appartient de plein droit à la
lignée du cinéma fantastique. La perte des repères sensoriels et
spatiaux de Goya qui erre au début dans une rue brumeuse de Bordeaux
et se demande : « ¿Dónde
estoy ? » annonce le catalogue de
motifs fantastiques contenus dans le film. La question de Goya dans
son lit de mort «¿ Qué soy ahora ? »
en est l’écho ultime.
L’intérieur et l’extérieur sont
abolis ; ils appartiennent à une même matière tantôt solide,
tantôt gazeuse, grâce à l’absence si commentée de décors,
grâce à ces voiles, ces changements de couleurs, cette perméabilité
des lieux. Les êtres
et les choses se métamorphosent : le Bœuf
écorché se transforme en Goya ; plus
tard la mort du tableau El joven caballero y
la muerte de Pedro de Camprobín prend les
traits de Cayetana.
Pedro de Camprobín/El joven caballero y la muerte/1670/ Hôpital de la charité/Séville |
Il y a parfois duplication des personnages, ainsi Saint
Antoine de Padoue a le visage du curé qui en est le commanditaire.
Jusqu’à un certain point le champ-contrechamp de Leocadia et
Cayetana dans les jardins d’Aranjuez agit aussi comme un effet de
miroir, de symétrie et de dédoublement, car les deux femmes se
tiennent à une assez grande distance l’une de l’autre et ne
partagent aucune ligne de dialogue. Et cet effet de dédoublement
est patent lorsque Goya vieux se porte au chevet de Goya terrassé
par la maladie qui provoque sa surdité puis Goya jeune veille sur
Goya exilé et alité peu avant la fin du film.
Dans une autre scène les personnages
carnavalesques et grotesques qui semblent tirés de La
romería a San Isidro s’animent et
encerclent Goya épuisé par une crise.
Le fantastique couvre le réel comme une deuxième peau. Fantastique encore ce plan du sang qui coule de Saturno dévorant son enfant. Par ailleurs, le passé et le présent s’entremêlent d’autant mieux que l’état de veille et le rêve se confondent. « He soñado… no sé qué he soñado » dit Goya à Leocadia qu’il rejoint dans sa chambre.
Le fantastique couvre le réel comme une deuxième peau. Fantastique encore ce plan du sang qui coule de Saturno dévorant son enfant. Par ailleurs, le passé et le présent s’entremêlent d’autant mieux que l’état de veille et le rêve se confondent. « He soñado… no sé qué he soñado » dit Goya à Leocadia qu’il rejoint dans sa chambre.
Jean-Louis Leutrat
remarque fort judicieusement que :
« Toujours, on retrouve le temps
gelé, le temps qui tourne en rond, le temps qui ne cesse de diviser,
et les fantômes, car le temps est spectral et les spectres viennent
moins du passé qu’ils ne sont enchâssés dans le présent et
qu’ils témoignent d’un avenir en souffrance. Les fantômes sont
des émanations du temps, ils résultent de sa propension à se
dédoubler, à se hanter lui-même. » 14
Cependant
il serait faux de percevoir dans le flottement temporel du film
l’indice suffisant que Saura a composé un film traversé par le
temps. Il ne suffit pas de rompre la chronologie pour que le sujet
réel d’une œuvre soit le temps. C’est oublier que l’expression
romantique se nourrit d’une esthétique du fragment, d’une
esthétique du secret.
L’HOMME
DU PEUPLE
Il
a été dit et écrit que si Goya n’avait pas été un homme du
peuple il aurait été moins grand. Saura y souscrit. Son Goya jeune
a jusqu’à la crise qui l’arrache au monde sonore la santé et la
solidité d’un homme de la Renaissance, une santé opposée aux
artistes affligés de maux mortifères. Goya âgé a dans le film la
rudesse d’un homme des champs. Chez lui point de recherche de la
beauté, plutôt une vitalité à l’état brut, à l’image de sa
peinture sans afféteries. Juan Gil-Albert écrit :
“En
España, ya lo descubrió Mérimée, todo es pueblo. Todo lo que
realmente cuenta: gracia, ingenio, comunicabilidad, donaire,
desgarro, vida. (...)
Lo teórico encuentra poca raigambre en el
alma hispánica...(...)
Resulta muy significativo lo que en
España se tiene, de una manera instintiva, por arte. (...)En
un país que tuvo un teatro y una pintura de primer orden... todos
son supremos catadores de la forma humana en el juego gracioso de la
plasticidad; en la improvisación de su donaire (...) Artista es
aquel que con su cuerpo, en todas las gradaciones de lo físico,
estático o dinámico, emociona estéticamente.” 15
Est-ce
pour cette raison que Saura a privilégié les arts du mouvement, le
théâtre et la danse, et les paseos
et les regards de velours parmi les séquences antérieures à
la surdité de Goya ?
En 1820 avec les revendications du
capitaine Riego qui réclamait la Constitution de 1812 commençait le
« Trienio liberal »
suivi par la réaction absolutiste de l’ « Ominosa
década ». Goya qui en 1824 trouva
refuge chez le chanoine José Duaso puis sollicita après le décret
d’amnistie l’autorisation d’aller :
« tomar las aguas minerales de Plombières para mitigar las
enfermedades y achaques que le molestan en tan avanzada edad »
fut-il un héros ou simplement un homme lassé par la médiocrité et
la lâcheté ? Saura prend parti. Les libéraux réunis chez
Braulio Poc peuvent boire « Por una
España libre de la tiranía » leur
cause est malgré tout perdue. Leur pays demeure un pays exsangue,
arriéré, ruiné par l’atavisme, la gabegie et l’autarcie.
Que Saura ait inséré une longue
représentation des Désastres de la guerre
est plus qu’une citation picturale un
hommage appuyé au patriote tel que le perçoit le réalisateur.
Souvenons-nous que cette scène, même si elle ne figurait pas à cet
endroit dans le scénario original, a été placée au montage juste
avant la mort du peintre. Saura montre le vieil homme tourmenté par
les souvenirs de l’invasion napoléonienne ; l’agonie
individuelle prolonge ainsi le combat d’un peuple prêt à chasser
au prix d’un sacrifice énorme les « Vándalos
del Sena », pour reprendre l’expression
de Manuel José Quintana créée en 1808 qui fit florès.
Il est une expression véhémente
entre toutes qui souvent a grandi chez le peuple et que Goya a
profondément admiré : la tauromachie. D’après Moratín,
Goya revêtait à l’âge de quatre-vingts ans le traje de luces.
Aux dires de certains Goya avait toréé durant sa jeunesse. Et lui
même l’a répété à l’envi. Qu’il ait été diestro ou
non est de moindre importance. Ce qui nous occupe c’est la
constance avec laquelle Goya a représenté le monde de la fiesta.
Des figures de légende (Pepe Hillo ou Pedro Romero 16)
et de Mariano Ceballos au téméraire Martincho présents dans La
tauromaquia (1813) jusqu’aux Toros de Burdeos auxquels
fait référence l’une des quatre lithographies –
Dibersión de España – éditées par Gaulon en 1825 dans la
scène de l’imprimerie située à Bordeaux, c’est toujours
l’acuité d’un regard puissant capable de montrer l’homme aux
prises avec ses démons.
Goya/Pedro Romero/1795-1798/ Kimbell Art Museum/Fort Worth |
Goya/La tauromaquia "Temeridad de Martincho en la plaza de Zaragoza" (nº18)/1814-1816 |
Goya/Los toros de Burdeos "Diversión de España"/1824-1825 |
Au moment où Goya voit apparaître la
lithographie ci-dessus mentionnée il adresse à Rosarito ce commentaire taurin : « Ha
llegado el momento de la verdad, la culminación de la faena.”
FILMER
LA PEINTURE
Lorsqu’un cinéaste décide de
consacrer un film de fiction à l’art pictural d’emblée se pose
à lui au moins une triple question : vais-je évoquer la vie
d’un peintre, analyser une ou plusieurs toiles ou proposer un
traité sur la peinture ? Les antécédents cinématographiques
sont nombreux et Saura a dû sans doute sinon s’y référer du
moins y réfléchir.
Le cinéaste peut choisir de nous montrer
l’artiste au travail (Vérités et
mensonges, Orson Welles, 1975 ; El
sol del membrillo,Víctor Erice, 1992 ces
deux films a priori
documentaires se situent aux lisières de la fiction et de l’essai
; La belle noiseuse, Jacques
Rivette, 1991 ; La jeune fille à la
perle, Peter Weber, 2003), de ne jamais ou
presque nous le montrer face au chevalet (Andreï
Roublev, Andréi Tarkovski, 1966 ;
Van Gogh, Maurice Pialat, 1991). Il peut
mêler biographie et étude de son art (Cinq
femmes pour Utamaro, Kenji Mizoguchi, 1946 ;
Frida, naturaleza viva, Paul
Leduc, 1984 ; Ivre de femmes et de
peinture, Im Kwon-Taek, 2000 ) ;
privilégier la reconstitution d’une œuvre (l’épisode des
Corbeaux de Van Gogh
dans Rêves d’Akira
Kurosawa, 1990), décrire les vicissitudes de l’auteur (La
vie passionnéee de Vincent Van Gogh, Vincente
Minnelli, 1956 ; Montparnasse 19, Jacques
Becker, 1957 ; Pirosmani, Gueorgui
Chenguelaïa, 1969 ; Edvard Munch, Peter
Watkins, 1973 ; Cimabue,
Salvatore Nocita, 1978 ; Les modernes,
Alan Rudolph, 1987 ; Basquiat,
Julian Schnabel, 1996 ; Artemisa,
Agnès Merlet, 1996 ; Pollock
Ed Harris, 2000 ).
D’autres choisissent de se consacrer au
« tableau vivant » (Caravaggio,
Derek Jarman, 1986 ; Passion,
Jean-Luc Godard, 1982 ainsi que
plusieurs films de Pasolini et notamment La
ricotta) ; d’employer la peinture à
des fins ludiques et rhétoriques (Meurtre
dans un jardin anglais, Peter Greeenaway,
1981 ) ; d’insérer une séquence qui reproduit une toile
(Le cauchemar de
Füssli dans La marquise d’O, Eric
Rohmer, 1976 ), de citer un tableau (L’adoration
des Mages de Léonard de Vinci dans Le
sacrifice de Tarkovski, 1986) ;
d’évoquer la fascination produite par Las
Meninas (Luces y
sombras, Jaime Camino, 1988).
Il est des films imprégnés par la
picturalité dès le stade de l’écriture. Citons parmi de nombreux
titres Les chaussons rouges (Michael
Powell et Emeric Pressburger, 1948) ; Senso
(Luchino Visconti, 1954) ; Lola
Montés (Max Ophuls) 1955 ; Le
désert rouge (Michelangelo Antonioni,
1964) ; Sayat Nova
(Serguei Paradjanov, 1969), Le conformiste
(Bernardo Bertolucci, 1970) ; Cris
et chuchotements (Ingmar Bergman, 1972) ;
Barry Lyndon (Stanley
Kubrick, 1975) ; Les moissons du ciel
(Terrence Malick, 1978), La porte du Paradis
(Michael Cimino, 1980) ;
Francisca (Manoel de Oliveira, 1981) ;
El Sur (Victor Erice,
1983) ; Ran (Akira
Kurosawa, 1985) ; Mère et fils
(Alexander Sokourov, 1997) ; Les
fleurs de Shangaï (Hou Hsiah-sien, 1998) ;
In the mood for love (Wong
Kar-wai, 2000).
Que fait Saura dans Goya
en Burdeos ? Il n’hésite pas à
procéder à un collage, à un assemblage qui ne respecte nullement
la rigueur d’un puriste. Il propose plusieurs sortes d’emploi de
la peinture de Goya. Signalons quelques exemples.
Dans la séquence située dans les jardins
d’Aranjuez il recrée sans les citer de manière littérale des
œuvres de jeunesse telles que El quitasol ou
El columpio
(1777).
Dans la séquence située sur les bords de la Pradera de San Isidro il filme sur un immense fond qui reproduit la petite toile La Pradera de San Isidro (42 x 90 cm) une scène festive où défilent majas, manolas et zancos.
A la fin de la scène qui évoque le miracle de Saint Antoine de Padoue il filme en contre-plongée verticale et circulaire la coupole de la Ermita de San Antonio de la Florida. Au cours des séquences situées dans la Quinta del sordo nous apercevons en deuxième plan certaines Peintures noires réalisées entre 1819 et 1823, comme El aquelarre, El Perro, Duelo a garrotazos, et Asmodeo. Et, bien sûr, Saturno. Et lors de la crise qui précède son évanouissement en surimpression se devinent Asmodeo, Duelo a garrotazos puis prend vie la vision hallucinée de La romería de San Isidro.
Goya/El columpio/1779/Musée du Prado/Madrid |
Dans la séquence située sur les bords de la Pradera de San Isidro il filme sur un immense fond qui reproduit la petite toile La Pradera de San Isidro (42 x 90 cm) une scène festive où défilent majas, manolas et zancos.
A la fin de la scène qui évoque le miracle de Saint Antoine de Padoue il filme en contre-plongée verticale et circulaire la coupole de la Ermita de San Antonio de la Florida. Au cours des séquences situées dans la Quinta del sordo nous apercevons en deuxième plan certaines Peintures noires réalisées entre 1819 et 1823, comme El aquelarre, El Perro, Duelo a garrotazos, et Asmodeo. Et, bien sûr, Saturno. Et lors de la crise qui précède son évanouissement en surimpression se devinent Asmodeo, Duelo a garrotazos puis prend vie la vision hallucinée de La romería de San Isidro.
Goya/Duelo a garotazo/1820-1823/Musée du Prado/Madrid |
Goya/La romeria de san Isidro/1819-1823/Musée du Prado/Madrid |
Dans l’atelier de Goya à Bordeaux se
profile derrière Rosarito assise à côté de son père La
lechera de Burdeos (1827) qui réapparaît
quand Rosarito veut être traitée comme une femme et non comme une
enfant et que, par conséquent, son père lui parle de Cayetana.
Dans cette même scène nous voyons sur un chevalet le portrait de José Pío de Molina (1827) puis le « Sólo Goya » consacré à Cayetana placé sur un pivot. Et enfin lorsque père et fille s’assoient à table, Goya évoque la haine qu’éprouvait la reine María Luisa à l’endroit de la duchesse d’Albe, alors apparaissent de façon frontale, quatre portraits de la reine projetés sur le fond de la pièce obscure (María Luisa con mantilla, María Luisa con tontillo, Retrato, María Luisa)
Goya/La lechera de Burdeos/1826/Musée du Prado/Madrid |
Dans cette même scène nous voyons sur un chevalet le portrait de José Pío de Molina (1827) puis le « Sólo Goya » consacré à Cayetana placé sur un pivot. Et enfin lorsque père et fille s’assoient à table, Goya évoque la haine qu’éprouvait la reine María Luisa à l’endroit de la duchesse d’Albe, alors apparaissent de façon frontale, quatre portraits de la reine projetés sur le fond de la pièce obscure (María Luisa con mantilla, María Luisa con tontillo, Retrato, María Luisa)
En ce qui concerne les Caprices
huit d’entre eux, parmi lesquels El
sueño de la razón puis son ébauche, sont
accrochés dans le couloir que traversent tour à tour Goya jeune et
Goya vieux. Et dans ce même couloir sont suspendus sur deux murs une
vingtaine de portraits réalisés par le peintre alors courtisan.
Enfin, peu avant la fin du film la scène
clé au cours de laquelle Goya découvre Las
Meninas offre une réflexion visuelle et
verbale à partir du thème du miroir. Goya jeune s’identifie à
l’autoportrait de Vélasquez avant de se trouver face à trois
miroirs dans lesquels se reflètent sa silhouette ainsi que la toile
du maître. Et Saura se mire dans les yeux de Goya qui scrute le
regard de Vélasquez. Au fur et à mesure que la scène se développe
la voix off de Goya
vieux dit ceci :
« Durante
años buscaba yo algo. No sabía el qué. Y allí estaba todo
explicado. Claro, evidente, como una revelación. Esa era la pintura
que yo quería hacer.”
La voix in de
Goya jeune prend alors le relais :
« Una pintura que
pareciese inacabada, ligera, con la apariencia de hacerse sin
esfuerzo. Fuera de todo tiempo espacio y lugar. (...)
Más allá
de toda realidad
palpable, física, está otra realidad.
¿ Qué es la pintura ?Un espejo deformante de la
vida, un reflejo del instante, de la realidad mágica donde todo es
posible. »
La toile composite
du montage confère au monologue de Goya situé quelques minutes
avant la fin du film l’authenticité d’une confession, d’un
autoportrait de l’artiste. Il est d’ailleurs à remarquer
qu’aucun autoportrait de Goya n’apparaît dans le film.
Recréation d’œuvres, toiles accrochées aux murs,
fresques filmées, tableaux animés, galerie de reproductions,
projections d’œuvres, portraits en cours d’exécution :
Saura s’autorise tout.
Fabrice Revault d’Allones écrit
que :
« le baroque… relève en
tout cas d’une sorte de gourmandise, d’appétit et de puissance
gustative envers la lumière dans toute sa théâtralité, en ses
états et formes innombrables ; de même qu’il n’ignorera
pas la luxuriance des couleurs. » 17
L’approche de la
lumière et de la couleur de Goya en Burdeos partage la
liberté d’expression du baroque mais nous ne saurions affirmer de
façon péremptoire si le film est un film caressé par lumière ou
un film construit à partir de l’étude des couleurs. Les couleurs
du film fondues dans un maelström nous invitent à pencher pour
cette deuxième hypothèse. Si nous n’avons pas mentionné
jusqu’ici la cinématographie de Vittorio Storaro c’est
que sa signature impérieuse porte parfois ombrage aux cinéastes
avec lesquels il travaille qu’il se nomment Coppola ou Bertolucci,
alors même qu’un point d’incandescence fortifie leur mise en
scène. Avant Goya en Burdeos Saura avait collaboré
auparavant avec Storaro pour Flamenco (1995), Taxi
(1996) et Tango (1997). N’oublions pas que Saura est un
excellent photographe 18 et que déjà en 1965 nombreux étaient ceux qui attribuaient
de manière erronée les mérites visuels de La caza à son
chef opérateur Luis Cuadrado. Philosophique, symbolique et théorique
est la réflexion de Storaro à l’égard de la lumière. A propos
du Dernier empereur (1987) il disait :
« Le rouge, c’est la vie. Donc,
nous l’avons utilisé pour la scène de la naissance. Quand le
futur empereur à 5 ans, la dominante est plus orangée. C’est le
temps de la famille. L’enfant est très entouré par les moines.
Quand il est couronné empereur, nous avons utilisé beaucoup de
jaune, qui est la couleur de la puberté. Le vert, c’est l’âge
adulte, le moment de la compréhension. Le bleu correspond à la
période de la plus forte intelligence, entre 30 et 50 ans. Là où
on est le plus libre. Après 50 ans, j’utilise l’indigo. Avant de
terminer dans la neige avec le blanc qui est composé de toutes les
couleurs. C’est la maturité, le moment où l’ancien empereur
comprend toute sa vie. » 19
Une telle
conception du travail de directeur de la photographie transmet
clairement la hauteur de vue de Vittorio Storaro, tout autant qu’une
éventuelle rigidité de principes d’un homme qui divise sa
filmographie en trois étapes : la lumière, la couleur, les
éléments.
Dans Goya en
Burdeos, qui appartient à cette troisième étape, Saura et
Storaro modifient la lumière d’un même « décor ».
Ainsi en est-il du couloir blanc qu’arpente Goya qui débouche dans
une rue de Bordeaux qui devient orangé quand Goya accompagne
Rosarito enfant pour le traverser après son cauchemar.
Avec fréquence le
réalisateur et son directeur de la photographie changent de lumière
dans un même plan. Tout au long de l’épisode qui concerne Les
désastres de la guerre, dont les fonds de « décor »
rappellent les transparences du cinéma classique ainsi que les
toiles peintes du cinéma muet, à chaque détonation des soldats
français le décor vire au vert et de déflagration en fusillade le
vert envahit les lieux.
Goya/Los Desastres de la guerra "Con razón ó sin ella" (nº2) 1810-1814 |
Un
blanc mortifère aspire les êtres dans plusieurs scènes. Lors de
son apparition dans son lit à Bordeaux Goya baigne dans une lumière
blanche aveuglante. Quand Rosarito meurt des touches blanches
parsèment les robes dans les jardins d’Aranjuez. Et lorsque Goya
agonise l’ombre noire de Cayetana l’absorbe puis le lit demeure
vide, d’une blancheur qui produit le vertige à laquelle succèdent
les flocons de neige et la chambre parée de blanc – murs, lits,
vêtements – où naît Goya.
Saura et Storaro terminent de nombreux plans sur une tonalité bleu. Mentionnons le visage de Goya jeune bleuté à la fin de la scène chez les ducs d’Osuna lorsqu’il se réfère aux ilustrados qui pouvaient modifier le cours du pays ; le visage bleuté de Cayetana qui évoque une œuvre de Man Ray ou le cinéma muet quand elle sort du tableau El caballero y le muerte ; le visage bleuté de Goya vieux à la fin de la scène dans laquelle Rosarito joue le menuet de Boccherini au piano ; les visages de Goya vieux et Rosarito assis côte à côte et qui parlent d’art ; le visage bleuté de Goya dans la Quinta del sordo sur le point d’être sujet à une crise ; les visages de Goya et Cayetana à Sanlúcar de Barrameda lorsque commencent les ébats des amants ; le visage de Cayetana empoisonnée. Cette omniprésence du bleu peut être observée encore dans les fonds bleus sur lesquels sont suspendus les Caprices, le visage bleuté de Cayetana qui précède les figurants bientôt couverts de draps blancs ; le fond bleu sur lequel se détache la silhouette de Cayetana dont Goya fait le portrait en cap.
EN
GUISE DE CONCLUSION
Pour
la majorité des personnes l’activité professionnelle est avant
tout un gagne-pain que beaucoup se pressent d’abandonner pour
vaquer à d’autres occupations. Il en est tout autrement pour
l’artiste. L’artiste est ce
qu’il fait. Sa vie,
c’est son œuvre. Saura
n’est pas biographe, il puise dans la chair palpitante de la
peinture de Goya pour mieux en comprendre les arcanes. Son chemin
sinueux le conduit de l’ombre d’une vie à la lumière d’une
œuvre.
Dans un roman
méconnu Jules Verne écrit ceci :
« L’inconnu, c’est X de
l’existence, c’est ce secret du destin que, dans les temps
antiques, les hommes gravaient sur la peau de la chèvre Amalthée,
c’est ce qui est écrit dans le grand livre de là-haut et que les
meilleures bésicles ne nous permettent pas de lire, c’est l’urne
dans laquelle sont déposés les bulletins de la vie et que tire la
main du hasard (…)C’est le décor mystérieux sur lequel va se
lever le rideau d’avant-scène. » 20
C’est bien l’X de l’existence auquel
nous convie le fondu au blanc d’une femme en gésine par lequel
termine Goya en Burdeos.
Fuendetodos 21,
30 mars 1746, un bébé crie pour annoncer sa venue au monde. Il nous
reste à imaginer si Goya enfant s’abreuva à la corne d’abondance
de la chèvre Amalthée qui nourrit Zeus de nectar et d’ambroisie
ou si un bouc noiraud l’attendait déjà pour l’inviter à un
sabbat. Le rideau d’avant-scène auquel se réfère Jules Verne va
se lever : la représentation que Saura a choisi pour nous
s’achève sur l’incipit
d’une vie appelée à déchiffrer l’alphabet des rêves,
fussent-ils noirs.
FLOREAL PELEATO
FLOREAL PELEATO
1 Rafael Alberti, La
arboleda perdida,
3, Quinto libro (1988-1996), Alianza Editorial, Biblioteca Alberti,
Madrid, 1999, p 127.
2 Cuadernos del Atlante 2, Filmoteca de Andalucía, Junta de
Andalucía, Consejería de Cultura y Medio Ambiente, Córdoba, 1993.
“El ritual del cine” julio de 1991, para el festival de Cannes
1992, p 114.
3 André Malraux, Le musée imaginaire,
Gallimard, Paris, 1965, p 33.
« Ce qui
est moderne en lui, c’est la liberté de son art. »
4 Les 80 Caprices furent
mis à la vente au numéro 1 de la Calle del Desengaño après la
publication le 06 février 1799 dans le Diario
de Madrid de l’annonce suivante :
« Colección de
asuntos caprichosos, inventados y grabados al aguafuerte, por Don
Francisco Goya. ».Les fresques de San
Antonio de la Florida furent inaugurées le 11 juillet 1799, soit
près d’un après que Goya les eut terminées.
5 La Quinta del sordo située
sur la rive droite du Manzanares fut achetée par Goya en 1819 à
Pedro Marcelino Moreno pour 60.000 réaux. Les Peintures
noires peintes sur ses murs et la Quinta
furent léguées au petit-fils de Goya en
1823. Elles devinrent propriété du baron Charles Saulnier qui en
1833 les vendit au baron Emile d’Erlanger qui, quelques années
plus tard, en fit don à l’Etat espagnol.
6 De Goya à Saura, échos et résonances. Sous
la direction de Jean-Paul Aubert et Jean-Claude Seguin.
Grimh-LCE-Grimia,
Lyon, 2005, p 249.
7 Carlos Saura Interviews, Edited by Linda M. Willem, University of
Mississipi, Jackson, 2003, p 157-
p 159.
8 Roberto Cueto, El
lenguaje invisible. Entrevistas con compositores del cine español.
33 Festival de Cine de Alcalá de Henares-Comunidad de Madrid, 2003,
p 81-82-84.
9 Ernesto Sábato Creación
y tragedia: La esperenza ante la crisis. Feria
del libro, Sevilla 2002, p 33
10 Ramón Gaya, Obra completa, Tomo I, Pre-Textos, 1999, p 183-184.
10 Ramón Gaya, Obra completa, Tomo I, Pre-Textos, 1999, p 183-184.
11 Filmoteca de Andalucía, Junta de Andalucía, Consejería de Cultura
y Medio Ambiente, Cuadernos del Atlante 2, Córdoba, 1993, p 109.
12 Fotogramas,
diciembre de 1999.
“Paco Rabal, el patriarca” entrevista realizada por Paula Ponga,
p 144.
13 De Goya à Saura, échos et résonances. Sous
la direction de Jean-Paul Aubert et Jean-Claude Seguin.
Grimh-LCE-Grimia,
Lyon, 2005. Jacques Terrasa, “El cuadro más bello del mundo »
Les citations du Chien de Goya dans l’oeuvre d’Antonio Saura, p
37-48.
14 Jean-Louis Leutrat, Vie des fantômes, Le
fantastique au cinéma, Cahiers du cinéma,,
Editions de l’Etoile, 1995, p 16.
15 Juan Gil-Albert, Memorabilia,
Drama patrio, Los días están contados, “Genio
y figura. Homenaje al estilo plateresco”, Tusquets Editores,
Tiempo de Memoria 38, 2004, p 331, p 335, p337-338
16 Voir le portrait de Pedro Romero (peint entre 1795 et 1798) filmé
dans la séquence du « couloir ».
17 Fabrice Revault d’Allones, La lumière au
cinéma, Cahiers du cinéma, Collection
essais, 1991, p 37.
18 Voir le beau livre intitulé Las fotografías
pintadas de Carlos Saura, Editions El Gran
Caïd, novembre 2005.
19 Le film français, juin
2002. Propos recueillis par Patrick Caradec.
20 Jules Verne, Clovis Dardentor, Chapitre
2 « Dans lequel le principal personnage de cette histoire est
décidément présenté au lecteur ». Jules Verne naquit
quelques semaines avant la mort de Goya.
21 Dans les archives paroissiales disparues en 1936,
l’extrait de naissance signalait la venue au monde de « Francisco
Joseph Goya. »
1 commentaire:
passionnant! merci mathieu!
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